Bentham,
An Introduction to Principles of Morals and Legislation, ch.17, sect.1,
édité par J. H. Burns et H. L. A. Hart, Athlone Press, 1970, p. 282-283, note 1.
Traduit par Enrique Utria.
Introduction aux principes de morale et de législation, Vrin, 2011, p. 324-325.
IV Quels autres agents se trouvent être à la fois sous l’influence de la direction de l’homme et susceptibles de bonheur ? Ils sont de deux sortes : (1) Les autres êtres humains qu’on appelle personnes. (2) Les autres animaux, dont les intérêts ont été négligés par l’insensibilité des anciens juristes, restent dégradés dans la classe des choses*Note de bas de page.
[*Contenu de la note de bas de page:] Sous les religions mahométane et hindoue, les intérêts du reste de la création animale semblent avoir rencontré une certaine attention. Pourquoi [leurs intérêts] ne sont-ils pas, universellement, tout autant que ceux des créatures humaines, considérés en fonction des différences de degré de sensibilité ? Parce que les lois existantes sont le travail de la crainte mutuelle ; et les animaux les moins rationnels n’ont pas disposé des mêmes moyens que l’homme pour tirer parti de ce sentiment. Pourquoi [leurs intérêts] ne devraient-ils pas [être considérés] ? On n’en peut donner aucune raison. Si le fait d’être mangé était tout, il y a une très bonne raison pour laquelle il devrait nous être permis de les manger autant qu’il nous plait : nous nous en trouvons mieux ; et ils ne s’en trouvent jamais pire. Ils n’ont aucune de ces très longues anticipations de misère future que nous avons. La mort qu’ils subissent de nos mains est ordinairement, et sera peut être toujours, une mort plus rapide, et de ce fait moins douloureuse, que celle qui les attendrait dans le cours inévitable de la nature. Si le fait d’être tué était tout, il y a une très bonne raison pour laquelle il devrait nous être permis de tuer ceux qui nous attaquent : nous nous en trouverions pire pour qu’ils puissent vivre, et ils ne s'en trouvent jamais pire d’être morts. Mais n’y a-t-il aucune raison pour laquelle il nous serait permis de les mettre au supplice ? Pas que je sache. N'y en a-t-il aucune pour laquelle il ne devrait pas nous être permis de les mettre au supplice? Oui, plusieurs. Voir B.I. tit. [Cruelty to Animals]. Autrefois, et j'ai peine à dire qu'en de nombreux endroits cela ne fait pas encore partie du passé, la majeure partie de [notre] espèce, rangée sous la dénomination d’esclaves, était traitée par la loi exactement sur le même pied que, aujourd’hui encore, en Angleterre par exemple, les races inférieures d’animaux. Le jour viendra peut-être où il sera possible au reste de la création animale d’acquérir ces droits qui n'auraient jamais pu lui être refusés sinon par la main de la tyrannie. Les français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n'est nullement une raison pour laquelle un être humain devrait être abandonné sans recours au caprice d'un tourmenteur. Il est possible qu’on reconnaisse un jour que le nombre de jambes, la pilosité de la peau, ou la terminaison de l’os sacrum, sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sensible au même destin. Quel autre [critère] devrait tracer la ligne infranchissable? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de discourir ? Mais un cheval ou un chien adulte est, au-delà de toute comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi plus susceptible de relations sociales <conversable>[1], qu’un nourrisson d’un jour ou d’une semaine, ou même d'un mois. Mais supposons que la situation ait été différente, qu’en résulterait-il ? La question n'est pas « peuvent-ils raisonner? », ni « peuvent-ils parler ? », mais « peuvent-ils souffrir? ».
[1] NdT : Le
mot anglais conversable vient du vieux français conversable (16e s. Littré :
avec qui ont peut converser facilement, agréablement), qui tire lui-même son
étymologie du latin conversabilis. Selon le Merriam-Webster's collegiate dictionary: “conversable :
archaic: relating to or suitable for social interaction. 2: pleasant and easy
to converse with.”
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IV. What other agents then are there, which, at the same time that they are under the influence of man's direction, are susceptible of happiness? They are of two sorts: (1) Other human beings who are styled persons. (2) Other animals, which, on account of their interests having been neglected by the insensibility of the ancient jurists, stand degraded into the class of things.
Under the Hindu and Mahometan religions, the interests of the rest of the animal creation seem to have met with some attention. Why have they not, universally, with as much as those of human creatures, allowance made for the difference in point of sensibility? Because the laws that are have been the work of mutual fear; a sentiment which the less rational animals have not had the same means as man has of turning to account. Why ought they not? No reason can be given. If the being eaten were all, there is very good reason why we should be suffered to eat such of them as we like to eat: we are the better for it, and they are never the worse. They have none of those long-protracted anticipations of future misery which we have. The death they suffer in our hands commonly is, and always may be, a speedier, and by that means a less painful one, than that which would await them in the inevitable course of nature. If the being killed were all, there is very good reason why we should be suffered to kill such as molest us: we should be the worse for their living, and they are never the worse for being dead. But is there any reason why we should be suffered to torment them? Not any that I can see. Are there any why we should not be suffered to torment them? Yes, several. Voir B.I. tit. [Cruelty to Animals]. The day has been, I grieve to say in many places it is not yet past, in which the greater part of the species, under the denomination of slaves, have been treated by the law exactly upon the same footing as, in England for example, the inferior races of animals are still. The day may come, when the rest of the animal creation may acquire those rights which never could have been withholden from them but by the hand of tyranny. The French have already discovered that the blackness of the skin is no reason why a human being should be abandoned without redress to the caprice of a tormentor. It may come one day to be recognized, that the number of the legs, the pilosity of the skin, or the termination of the os sacrum, are reasons equally insufficient for abandoning a sensitive being to the same fate. What else is it that should trace the insuperable line? Is it the faculty of reason, or, perhaps, the faculty of discourse? But a full-grown horse or dog is beyond comparison a more rational, as well as a more conversable animal, than an infant of a day, or a week, or even a month, old. But suppose the case were otherwise, what would it avail? the question is not, Can they reason? nor, Can they talk? but, Can they suffer?
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