Percy Bysshe Shelley

 

 

 

Percy Bysshe Shelley,

Eloge du végétarisme,

Traduction (légèrement modifiée) Isabelle Drouin,

Paris, Editions Infrarouge, 2005, p. 21-25.

 





-Mise en page modifiée et copiée sur l'édition de Queen Mab : with notes, 2nd éd., New-York, Wright & Owen, 1831, p. 107-120.

-Texte anglais intégral de la "Vindication for Natural Diet".

Justification du végétalisme

L’anatomie comparée nous enseigne que l’homme ressemble en tous points aux animaux frugivores, et en aucune façon aux carnivores ; il n'a ni griffe pour saisir sa proie, ni dents pointues spécifiques pour déchirer les fibres vivantes. Un mandarin de première classe, aux ongles longs de deux pouces, les trouverait probablement insuffisantes à eux seuls pour maintenir ne fût-ce qu'un lièvre. Après tous les subterfuges de la gloutonnerie, le taureau doit être dégradé en boeuf, et le bélier en mouton, au moyen d'une opération dénaturée et inhumaine, afin que les fibres ramollies offrent une moindre résistance à la nature rebelle. C'est seulement en attendrissant et en déguisant la chair morte par des préparations culi­naires, qu'on la rend susceptible d'être mas­tiquée et digérée ; que la vue de ses jus sanglants et de sa crudité horrible ne suscite pas une répulsion et un dégoût intolérables. Que l'avocat de la nourriture animale se force à tenter une expérience décisive quant à sa convenance : ainsi que le recommande Plutarque, qu'il déchire de ses dents un agneau vivant, plongeant sa tête dans ses organes vitaux, étanchant sa soif au sang qui ruisselle, puis, ayant accompli cet acte d’horreur, qu'il se retourne vers les irrésistibles instincts de la nature, s’élevant en jugement contre la chose, et qu’il dise : La nature m'a créé pour un tel travail. Alors, et seulement à ce moment, sera-t-il conséquent avec lui-même.

L’homme ne ressemble à aucun animal carnivore. Il n’y a point d'exception, à moins que l'homme n'en soit une, à la règle qui attribue aux animaux herbivores des colons celluleux.

L'orang-outang ressemble parfaitement à l'homme à la fois par la disposition et le nombre de ses dents. L'orang-outang est le plus anthropomorphe des singes, lesquels sont tous strictement frugivores. Il n'y a pas d'autre espèce d'animaux chez laquelle on retrouve cette analogie[1]. Chez beaucoup d'animaux frugivores, les canines sont plus pointues et spécifiques que celles de l'hom­me. La ressemblance aussi de l'estomac humain avec celui de l'orang-outang est plus grande qu'avec celui de tout autre animal.

Ses intestins sont aussi identiques à ceux des herbivores, qui présentent une plus grande surface d'absorption, et ont des colons simples et celluleux. Le caecum, bien que plus court, est plus grand que celui des carnivores; et même en ce domaine l'orang-outang conserve sa ressemblance habituelle.

La structure du corps humain est adaptée à un régime purement végétal, dans chacune de ses caractéristiques. Il est vrai que la répugnance à s'abstenir de nourriture animale chez ceux qui ont été longtemps habitués à son effet stimulant est si grande chez des personnes à l'esprit faible, qu'elle peut difficilement être surmontée; mais ce n'est pas, loin s'en faut, un argument en sa faveur. – Un agneau, qui avait été nourri quelque temps de viande par l'équipage d'un navire, refusa son régi­me naturel à la fin du voyage. Il y a de nombreux exemples de chevaux, de moutons, de boeufs et même de pigeons ramiers, à qui l'on a enseigné à vivre de chair, jusqu'à leur faire détester leur alimentation naturelle. Les jeunes enfants préfèrent à l'évidence les pâtisseries, les oranges, les pommes et d'autres fruits, à la chair des animaux ; jus­qu'à ce que, par suite de la dégradation pro­gressive des organes digestifs, le libre usage des légumes ait entraîné quelque temps de sérieux dérangements. Pendant quelque temps ai-je dit, car en aucun cas un changement de régime entre la nourriture animale et les spiritueux contre des légumes et de l’eau pure n’a manqué de revivifier le corps en rendant ses sécrétions plus douces et plus fluides, et de restituer à l’esprit sa gaieté et sa souplesse, – qualités qu’une personne sur cinquante possède dans le présent système ? On enseigne aussi difficilement aux enfants le goût des liqueurs fortes. Nous nous rappelons presque tous les grimaces provoquées par le premier verre de porto. L'instinct dépourvu de justification ne se trompe jamais ; mais décider du bien fondé de la nourriture animale, d'après les appétits pervertis générés par son adoption forcée, c'est faire du criminel le juge de sa propre cause : – c’est même pire, c'est consul­ter l'ivrogne invétéré sur la salubrité du cognac.

 

 

 


 

 

[1] Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, Tome III, p. 169, 373, 448, 465, 480. Rees, Cyclopaedia, article "homme". (note de Shelley).

Comparative anatomy teaches us that man resembles frugivorous animals in every thing, and carnivorous in nothing; he has neither claws wherewith to seize his prey, nor distinct and pointed teeth to tear the living fibre. A Mandarin of the first class, with nails two inches long, would probably find them alone inefficient to hold even a hare. After every subterfuge of gluttony, the bull must be degraded into the ox, and the ram into the wether, by an unnatural and inhuman operation, that the flaccid fibre may offer a fainter resistance to rebellious nature. It is only by softening and disguising, dead flesh by culinary preparation, that it is rendered susceptible of mastication or digestion; and that the sight of its bloody juices and raw horror, does not excite intolerable loathing and disgust. Let the advocate of animal food, force himself to a decisive experiment on its fitness, and as Plutarch recommends, tear a living lamb with his teeth, and plunging his head into its vitals, slake his thirst with the steaming blood; when fresh from the deed ofhorror let him revert to the irresistible instincts of nature that would rise in judgment against it, and say, Nature formed me for such work as this. Then, and then only, would he be consistent.

Man resembles no carnivorous animal. There is no exception, except man be one, to the rule of herbivorous animals having cellulated colons.

The orang-outang perfectly resembles man both in the order and number of his teeth. The orang-outang is the most anthropomorphous of the ape tribe, all of which are strictly frugivorous. There is no other species of animals in which this analogy exists2. In many frugivorous animals, the canine teeth are more pointed and distinct than those of man. The resemblance also of the human stomach to that of the orang-outang, is greater than to that of any other animal.

The intestines are also identical with those of herbivorous animals, which present a larger surface for absorption, and have ample and cellulated colons. The cæcum also, though short, is larger than that of carnivorous animals; and even here the orang-outang retains its accustomed similarity.

The structure of the human frame then is that of one fitted to a pure vegetable diet, in every essential particular. It is true, that the reluctance to abstain from animal food, in those who have been long accustomed to its stimulus, is so great in some persons of weak minds, as to be scarcely overcome; but this is far from bringing any argument in its favour. - A lamb, which was fed for some time on flesh by a ship's crew, refused its natural diet at the end of the voyage. There are numerous instances of horses, sheep, oxen, and even wood-pigeons, having been taught to live upon flesh, until they have loathed their accustomed aliment. Young children evidently prefer pastry, oranges, apples, and other fruit, to the flesh of animals; until, by the gradual depravation of the digestive organs, the free use of vegetables has for a time produced serious inconveniences; for a time, I say, since there never was an instance wherein a change from spirituous liquors and animal food, to vegetables and pure water, has failed ultimately to invigorate the body, by rendering its juices bland and consentaneous, and to restore to the mind that cheerfulness and elasticity, which not one in fifty possess on the present system. A love of strong liquors is also with difficulty taught to infants. Almost every one remembers the wry faces, which the first glass of port produced. Unsophisticated instinct is invariably unerring; but to decide on the fitness of animal food, from the perverted appetites which its constrained adoption produces, is to make the criminal a judge in his own cause: - it is even worse, it is appealing to the infatuated drunkard in a question of the salubrity of brandy.