Porphyre

 

 

 

Porphyre,

De l'abstinence, III, 19.1-3,

texte édité et traduit par J. Bouffartigue et M. Patillon, 

Belles lettres, 2003, tome 2, p.174.

Argument des cas marginaux[1]

19. [1] Et celui qui nous défend de faire usage du boeuf pour notre nourriture, d'éteindre et de détruire un souffle vital pour servir de condiments à notre goinfrerie et d'ornement à notre table, quel bien nécessaire à notre sauvegarde ou utile à notre vertu enlève-t-il à notre vie ?  [1] Cependant mettre sur le même pied plantes et animaux, voilà qui est tout à fait forcé. La nature des uns en effet est de sentir, de souffrir, de craindre, de subir un dommage et donc aussi l'injus­tice. Les autres n'ont aucune sensation et donc rien qui leur soit inapproprié ou mauvais, un dommage ou une injustice. En effet toute « appropriation » et aversion a son principe dans la sensation. Or les disciples de Zénon posent l'« appropriation comme le principe de la justice.  [3] Lorsqu'on voit un grand nombre d'hommes ne vivre que par les sens, dénués d'intellect et de raison, un grand nombre encore surpasser par leur cruauté, leurs colères et leur avidité les plus redoutables bêtes féroces, tyrans meurtriers de leurs enfants, ou de leurs parents, exécuteurs des basses oeuvres des rois, n'est-ce pas folie de penser que nous avons <des devoirs de justice> envers eux, tandis qu'envers le boeuf de labour, le chien familier, les brebis qui donnent leur lait pour notre nourriture, leur laine pour notre parure, nous n'en aurions aucun ? Cela n'est-il pas tout à fait contraire à la raison ?

 

 


 

 

[1] On désigne habituellement par l'expression "cas marginaux" les enfants, les handicapés mentaux, les déments et, plus largement, tous ceux qui ne possèdent pas d'autonomie (de raison ou de langage).