J. Howard Moore,

Universal kinship,

Londres, 1906.

 

Repris dans Kerry Walters et Lisa Portmess (dir.), Ethical Vegetarianism : From Pythagoras to Peter Singer, Albany, State University of New York Press, 1999, p. 132-134.

Traduit par Enrique Utria.

Parenté universelle

Le déni complet opéré par les animaux humains des relations éthiques avec le reste du monde animal est un phénomène ne différant ni par sa nature ni par sa cause du déni opéré par une tribu, un peuple, ou une ethnie d’êtres humains, des relations éthiques avec le reste du monde humain. Le provincialisme des juifs à l’encontre des non juifs, des grecs à l'encontre des non grecs, des romains à l’encontre des non romains, des musulmans à l’encontre des non musulmans, et des caucasiens à l’encontre des non caucasiens, n’est pas une chose, et le provincialisme des êtres humains contre les non humains une autre. Tous sont des manifestations du même phénomène. Le fait que ces diverses actions soient accomplies par différents individus et sur différents individus, exécutées en des époques et des lieux différents, n’invalide pas l'identité essentielle de leurs natures. Les crimes ne sont pas classés (excepté les crimes sauvages ou ce qui en dérive immédiatement) suivant la similarité de leurs auteurs ou de ceux qui en souffrent, mais selon la similarité de leurs qualités intrinsèques. Tous les actes de provincialisme consistent essentiellement en la non inclination ou en l’incapacité à se faire universel <to be universal>, et ils appartiennent tous en réalité à la même espèce de conduite. Il n’y a, en fait, qu’un seul grand crime dans l’univers, et la plupart des exemples de méfaits terrestres sont des exemples de ce crime. Il s'agit du crime d’exploitation – le fait pour certains êtres de se considérer comme des fins, et de considérer les autres comme des moyens – le refus de reconnaître les droits égaux, ou approximativement égaux, de tous, à la vie et à ses avantages légitimes – le crime qui consiste à agir envers les autres comme on voudrait que les autres n’agissent pas envers nous. Depuis des millions d’années, depuis presque toujours depuis l'apparition de la vie, ce crime a été perpétré dans chaque recoin habité du globe.

Chaque être est une fin. Autrement dit, tout être doit être pris en compte pour la détermination des fins de la conduite. C’est le seul résultat cohérent du processus éthique en cours d’évolution sur la terre. Ce monde n’a pas été façonné pour et présenté à une quelconque clique particulière pour son utilisation ou sa jouissance exclusives. La terre appartient, si tant est qu'elle appartienne à qui que ce soit, aux êtres qui l’habitent – à tous ceux qui la peuplent. Et quand un être ou un ensemble d’êtres s'autoproclame fin unique de l'univers, regarde et agit envers les autres comme s'ils étaient de simples moyens pour cette fin, il y a usurpation, et rien d’autre, et cela ne peut jamais être rien d’autre, quels que fussent les usurpateurs ou les usurpés. Un tyran plaçant son bien-être et son agrandissement à la place du bien-être d’un peuple, et contraignant celui-ci à agir comme un moyen pour ses fins personnelles, n’est pas plus sûrement un usurpateur que ne l’est une espèce ou une sous-espèce plaçant son bien-être à la place du bien-être de tous les habitants d’un monde. Le refus de se mettre à la place des autres et d’agir envers eux comme on voudrait qu’ils agissent envers nous ne dépend pas, pour ce qui est de son caractère [moralement] mauvais, de l'individu qui exprime le refus, ou de la question de savoir si le refus est essuyé par tel ou tel autre individu ou ensemble d’individus. Les actions relèvent du bien et du mal en elles-mêmes ; et qu’elles relèvent du bien ou du mal, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, propres ou impropres, qu’elles doivent ou ne doivent pas être faites, dépend de leurs effets sur le bien-être des habitants de l’univers. L’erreur fondamentale qui a toujours été commise dans ce monde égoïste à propos du jugement et de la classification des actes, a consisté à les juger et à les classer en référence à leurs effets sur certaines fractions particulières d’habitants de l’univers. Une conduite purement égoïste est jugée comme bonne ou mauvaise en seule référence aux résultats, immédiats ou éloignés, que cette conduite produit sur nous, ou qu’elle produirait selon nos calculs. Pour le sauvage, est bien ou mal ce qui l’affecte favorablement ou défavorablement, lui ou sa tribu. Et cet esprit de groupe que possède le sauvage, a de tous temps, comme on l’a montré, caractérisé les conceptions morales des peuples. La pratique qu’ont aujourd’hui les êtres humains – la pratique de ces esprits (relativement) tolérants et émancipés, suffisamment ouverts pour dépasser les préjugés et « patriotismes » mesquins des ethnies et communautés d’hommes, la pratique de ces esprits capables de regarder « le monde comme leur pays » (le monde des êtres humains, bien sûr) – la pratique que de tels esprits ont d’estimer une conduite en seule référence à ses effets sur l’espèce des animaux humains est une pratique qui, bien qu’elle soit infiniment plus ouverte et fondamentale que celle du sauvage, ressortit logiquement à la même catégorie. L’être humain partiellement émancipé, étendant ses sentiments moraux à tous les membres de sa propre espèce, mais niant à toutes les autres la justice et l’humanité qu’il accorde à la sienne, engendre à plus grande échelle la même confusion éthique que le sauvage. La seule attitude consistante, depuis que Darwin a établi l’unité de la vie (et l’attitude que nous supposerons, si nous devenons jamais réellement civilisés), est l’attitude de douceur et d’humanité universelles.

[T]he complete denial by human animals of ethical relations to the rest of the animal world is a phenomenon not differing either in character or cause from the denial of ethical relations by a tribe, people, or race of human beings to the rest of the human world. The provincialism of Jews toward non-Jews, of Greeks toward non-Greeks, of Romans toward non-Romans, of Moslems toward non-Moslems, and of Caucasians toward non-Caucasians, is not one thing, and the provincialism of human beings toward non-human beings another. They are all manifestations of the same thing. The fact that these various actions are performed by different individuals and upon different individuals, and are performed at different times and places, does not invalidate the essential sameness of their natures. Crimes are not classified (except by savages or their immediate derivatives) according to the similarity of those who do them or those who suffer from them, but by grouping them according to the similarity of their intrinsic qualities. All acts of provincialism consist essentially in the disinclination or inability to be universal, and they belong in reality, all of them, to the same species of conduct. There is, in fact, but one great crime in the universe, and most of the instances of terrestrial wrong-doing are instances of this crime. It is the crime of exploitation – the considering by some beings of themselves as ends, and of others as their means – the refusal to recognize the equal, or the approximately equal, rights of all to life and its legitimate rewards – the crime of acting toward others as one would that others would not act toward him. For millions of years, almost ever since life began, this crime has been committed, in every nook and quarter of the inhabited globe.

Every being is an end. In other words, every being is to be taken into account in determining the ends of conduct. This is the only consistent outcome of the ethical process which is in course of evolution on the earth. This world was not made and presented to any particular clique for its exclusive use or enjoyment. The earth belongs, if it belongs to anybody, to the beings who inhabit it – to all of them. And when one being or set of beings sets itself up as the sole end for which the universe exists, and looks upon and acts toward others as mere means to this end, it is usurpation, nothing else and never can be anything else, it matters not by whom or upon whom the usurpation is practiced. A tyrant who puts his own welfare and aggrandizement in the place of the welfare of a people, and compels the whole people to act as a means to his own personal ends, is not more certainly a usurper than is a species or variety which puts its welfare in the place of the welfare of all the inhabitants of a world. The refusal to put one self in the place of others and to act toward them as one would that they would act toward him does not depend for its wrongfulness upon who makes the refusal or upon whether the refusal falls upon this or that individual or set. Deeds are right and wrong in themselves; and whether they are right or wrong, good or evil, proper or improper, whether they should be done or should not be done, depends upon their effects upon the welfare of the inhabitants of the universe. The basic mistake that has ever been made in this egoistic world in the judging and classifying of acts has been the mistake of judging and classifying them with reference to their effects upon some particular fraction of the inhabitants of the universe. In pure egoism conduct is judged as good or bad solely with reference to the results, immediate or remote, which that conduct produces, or is calculated to produce, on the self. To the savage, that is right or wrong which affects favorably or unfavorably himself or his tribe. And this sectional spirit of the savage has, as has been shown, characterized the moral conceptions of the peoples of all times. The practice human beings have today – the practice of those (relatively) broad and emancipated minds who are large enough to rise above the petty prejudices and "patriotisms" of the races and corporations of men and are able to view "the world as their country" (the world of human beings, of course) – the practice such minds have of estimating conduct solely with reference to its effects upon the human species of animals is a practice which, while infinitely broader and more nearly ultimate than that of the savage, belongs logically in the same category with it. The partially emancipated human being who extends his moral sentiments to all the members of his own species, but denies to all other species the justice and humanity he accords to his own, is making on a larger scale the same ethical mess of it as the savage. The only consistent attitude, since Darwin established the unity of life (and the attitude we shall assume, if we ever become really civilized), is the attitude of universal gentleness and humanity.