Lucrèce

 

 

 

Lucrèce,

De la nature des choses, II, 352-366,
tr. José Kany-Turpin, GF Flammarion, 1998, p.135.

Le cœur transpersé de regret de son petit

Devant les temples magnifiques, au pied des autels
où fume l'encens, souvent un taurillon tombe immolé,
exhalant de sa poitrine un flot sanglant et chaud.
Cependant la mère désolée parcourt le bocage,
cherche à reconnaître au sol l'empreinte des sabots,
scrute tous les endroits où d'aventure elle pourrait
retrouver son petit, soudain s'immobilise
à l'orée du bois touffu qu'elle emplit de ses plaintes
et sans cesse revient visiter l'étable,
le coeur transpercé du regret de son petit.
Ni les tendres saules ni l'herbe avivée de rosée
ni les fleuves familiers coulant à pleines rives
ne sauraient la réjouir, la détourner de sa peine.
La vue d'autres taurillons dans les gras pâturages
ne peut la distraire ni soulager son chagrin,
tant elle recherche un être singulier, connu.