Federico Garcia Lorca

 

 

 

Federico Garcia Lorca,

Poeta en Nueva York, "Oficina y denuncia",

Madrid, Espasa-Calpe, 1972, p.103-105.

 

Federico Garcia Lorca,

Poésie, Un poête à new York, "Officine et dénonciation",

tr. fr. Pierre Darmangeat modifiée, Gallimard, 1961.

Quand leurs cris emplissent la vallée

A Fernando Vela

 

 

 

Sous les multiplications

gît une goutte de sang de canard ;

sous les divisions

gît une goutte de sang de marin ;

sous les additions, un fleuve de sang tendre.

Un fleuve qui avance en chantant

par les chambres des faubourgs,

qui est argent, ciment ou brise

dans l'aube menteuse de New York.

Les montagnes existent. Je le sais.

Et les lunettes pour la science.

Je le sais. Mais je ne suis pas venu voir le ciel.

Je suis venu voir le sang trouble,

Le sang qui porte les machines aux cataractes

et l'esprit à la langue du cobra.

Tous les jours on tue à New York

quatre millions de canards,

cinq millions de porcs,

deux mille pigeons pour le plaisir des agonisants,

un million de vaches,

un million d'agneaux

et deux millions de coqs,

qui font voler les cieux en éclats.

Mieux vaut sangloter en aiguisant son couteau

ou assassiner les chiens

dans les hallucinantes chasses à courre

que résister dans le petit jour

aux interminables trains de lait,

aux interminables trains de sang,

et aux trains de roses aux mains liées

par les marchands de parfums. 

Les canards et les pigeons,

les porcs et les agneaux

mettent leurs gouttes de sang

sous les multiplications,

et les terribles hurlements des vaches étripées

emplissent de douleur la vallée

où l'Hudson s'enivre d'huile.

Je dénonce tous ceux

qui ignorent l'autre moitié,

la moitié non rachetable

qui élève ses montagnes de ciment

où battent les coeurs

des humbles animaux qu'on oublie

et où nous tomberons tous

à la dernière fête des tarières.

Je vous crache au visage. 

L'autre moitié m'écoute

dévorant, chantant, volant dans sa pureté,

comme les enfants des conciergeries

qui portent de fragiles baguettes

dans les trous où s'oxydent

les antennes des insectes.

Ce n'est pas l'enfer, c'est la rue.

Ce n'est pas la mort, c'est la boutique de fruits. 

Il y a un monde de fleuves brisés et de distances insaisissables

dans la petite patte de ce chat

cassée par l'automobile,

et j'entends le chant du lombric

dans le coeur de maintes fillettes.

Oxyde, ferment, terre secouée.

Terre toi-même qui nage

dans les nombres de l'officine.

Que vais-je faire, mettre en ordre les paysages ?

Mettre en ordre les amours qui sont ensuite photographies,

Qui sont ensuite morceaux de bois et bouffées de sang?

Non, non, non, non ; je dénonce.

Je dénonce la conjuration

de ces officines désertes

qui n'annoncent pas à la radio les agonies,

qui effacent les programmes de la forêt,

et je m'offre à être mangé par les vaches étripées

quand leurs cris emplissent la vallée

où l'Hudson s'enivre d'huile.

A Fernando Vela

 

 

 

Debajo de las multiplicaciones

hay una gota de sangre de pato ;

debajo de las divisiones

hay una gota de sangre de marinero ;

debajo de las sumas, un río de sangre tierna.

Un río que viene cantando

por los dormitorios de los arrabales,

y es plata, cemento o brisa

en el alba mentida de New York.

Existen las montañas. Lo sé.

Y los anteojos para la sabiduría.

Lo sé. Pero yo no he venido a ver el cielo.

Yo he venido para ver la turbia sangre,

La sangre que lleva las máquinas a las cataratas

y el espíritu a la lengua de la cobra.

Todos los días se matan en New York

cuatro millones de patos,

cinco millones de cerdos,

dos mil palomas para el gusto de los agonizantes,

un millón de vacas,

un millón de corderos

y dos millones de gallos,

que dejan los cielos hechos añicos.

Más vale sollozar afilando la navaja

o asesinar a los perros

en las alucinantes cacerías

que resistir en la madrugada

los interminables trenes de leche,

los interminables trenes de sangre,

y los trenes de rosas maniatadas

por los comerciantes de perfumes.

Los patos y las palomas,

y los cerdos y los corderos

ponen sus gotas de sangre

debajo de las multiplicaciones,

y los terribles alaridos de las vacas estrujadas

llenan de dolor el valle

donde el Hudson se emborracha con aceite.

Yo denuncio a toda la gente

que ignora la otra mitad,

la mitad irredimible

que levanta sus montes de cemento

donde laten los corazones

de los animalitos que se olvidan

y donde caeremos todos

en la última fiesta de los taladros.

Os escupo en la cara.

La otra mitad me escucha

devorando, cantando, volando en su pureza,

como los niños en las porterías

que llevan frágiles palitos

a los huecos donde se oxidan

las antenas de los insectos.

No es el infierno, es la calle.

No es la muerte, es la tienda de frutas.

Hay un mundo de ríos quebrados y distancias inasibles

en la patita de ese gato

quebrada por el automóvil,

y yo oigo el canto de la lombriz

en el corazón de muchas niñas.

Óxido, fermento, tierra estremecida.

Tierra tú mismo que nadas

por los números de la oficina.

¿Qué voy a hacer, ordenar los paisajes?

¿Ordenar los amores que luego son fotografías,

que luego son pedazos de madera y bocanadas de sangre?

No, no, no, no ; yo denuncio.

Yo denuncio la conjura

de estas desiertas oficinas

que no radian las agonías,

que borran los programas de la selva,

y me ofrezco a ser comido por las vacas estrujadas

cuando sus gritos llenan el valle

donde el Hudson se emborracha con aceite.