Horkheimer

 

 

 

Max Horkheimer,

in Alberto Bondolfi (éd.), L'homme et l'animal: dimensions éthiques de leur relation,

Fribourg, Editions universitaires, 1995, p. 86-87.

 

Du lien entre actions honteuses dans les Etats totalitaires
et cruautés envers les animaux

La façon dont l'humanité moderne achète sa vie supplémentaire, la fabrication fiévreuse de discutables marchandises de luxe et de moyens indiscutables de destruction, la génialité de la production qui ne laisse pas le temps de penser, impriment rétroactivement leur sceau sur ce qui est ainsi conquis. Avec ingéniosité et vitesse et toute l'étonnante perspicacité dont elle est capable, la société, à travers la violence sans scrupules exercée sur tout ce qui lui est extérieur, superimpose en guise d'attitude spirituelle dominante en même temps stupidité et étroitesse d'esprit, crédulité et manipulabilité à tout ce qu'on juge puissant et actuel. Il y a un lien entre l'attitude inconsciente à l'égard des actions honteuses dans les Etats totalitaires et l'indifférence envers les cruautés perpétrées sur les animaux, présente même dans les Etats libres. Les deux phénomènes s'alimentent de l'adhésion tacite des masses à tout ce qui se passe normalement. Celui que le monde a amené a regarder uniquement devant lui et à obéir à la suggestion générale, celui qui n'a pas appris à faire des expériences au-delà du champ de son intérêt propre, celui-là est prisonnier même dans la liberté et s'il échappe à la captivité extérieure ce n'est que par pur hasard. Du dépassement de la contradiction entre humanité théorique et barbarie pratique - qui gangrène cette civilisation comme une maladie honteuse, et qui l'est d'autant plus qu'il y a de richesses et de potentialités - dépend que le progrès technique amène la coopération humaine a un stade plus élevé. Une société aux moyens plus importants exige une différenciation morale plus grande. La compassion ne suffit pas, et il existe un amour pour les animaux dont la seule raison n'est autre que la haine de l'homme. La révolte contre la torture, perpétrée sans cesse et abondamment dans la société, jaillit plutôt de l'aversion pour le bonheur, acheté par des moyens déplorables, de la sensibilité envers l'infamie, de la générosité qui appartient à la vraie force. La faiblesse adhère à la vie qui est tributaire de la torture raffinée du faible. Pour finir, la vie ne pourra plus s'affirmer face a des forces plus primitives et brutales, humaines et non humaine. La culture du professeur, qui avec joie laissa voleter les pigeons défigurés, est déjà mépris de la culture et les étudiants qui le suivent ne peuvent la défendre.