Hegel

 

 

 

Georg Wilhelm Friedrich Hegel,

Philosophie de la nature,

tr. fr. Augusto Véra, Paris, Librairie philosophique de Ladrange, 1866, 

Tome III, § 371, p. 442-446.

 

Pour une traduction récente, voir l'Encyclopédie des sciences philosophiques, II, Philosophie de la nature, tr. fr. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2004, add § 368, p. 323-324.

 

Incertitude, anxiété et malheur de la vie animale

La zoologie, ainsi que les autres sciences naturelles, se sont surtout appliquées à déterminer, pour la connaissance subjective, les caractères simples et constants des classes, des ordres, etc. Mais depuis qu'on a abandonné dans la science des animaux ce système artificiel, comme on l'appelle, on a ouvert une nouvelle voie bien plus importante et qui conduit à la connaissance objective de l'animal. Parmi les sciences expérimentales, on en trouverait difficilement qui ait fait plus de progrès, dans ces derniers temps, que la zoologie, aidée de l'anatomie comparée, et cela, non tant à cause de la masse (les observations qu'elle a recueillies, car, pour ce qui est d'observations, il n'y a pas de science qui en manque, que parce qu'elle est parvenue à élaborer ses matériaux d'une manière conforme à la notion. De même que l'observation attentive de la nature avait conduit les naturalistes, et surtout les naturalistes français, à la division des plantes en monocotylédones et on dicotylédones, ainsi l'anatomie comparée a saisi la différence la plus saillante des animaux dans l'absence ou la présence de la colonne vertébrale, et par là elle a ramené la division fondamentale des animaux à la division qui, en ce qu'elle a de plus essentiel, avait déjà été aperçue par Aristote.

Elle a, en outre, posé en principe que, dans les différents animaux, leur habitus est comme construit par la connexion déterminée de toutes leur parties, ce qui a fait dire à l'illustre fondateur de l'anatomie comparée, Cuvier, qu'avec un seul os il reconstruirait les parties essentielles de l'animal entier. De plus, elle a poursuivi le type général de l'animal A travers ses formes diverses et incomplètes, et elle l'a retrouvé dans les indices les plus obscurs ainsi que dans le mélange des organes et des fonctions, ramenant par là l'animal de sa forme particulière à sa forme générale.

Un autre point important que cette science a mis en lumière, c'est l'accord que la nature établit entre l'organisme animal et l'élément particulier où elle le place, c'est-à-dire le climat, la nourriture, le milieu, en un mot, où il naît, milieu qui peut être aussi une plante ou une autre espèce animale (V. §361, Zus.). Mais elles surtout été guidée par un instinct heureux lorsqu'elle a divisé les espèces d'après les dents, les griffes et d'autres déterminations semblables, c'est-à-dire d'après leurs armes. Car c'est par là que l'animal se pose et se conserve comme individualité distincte vis-à-vis et contre les autres animaux, c'est-à-dire se différencie lui-même.

La forme immédiate de l'idée de la vie fait que la notion n'existe pas comme telle dans la vie. La vie (sein Daseyn) est, par conséquent, soumise aux conditions et aux influences multiples de la nature extérieure, et elle peut se produire sous la forme la plus incomplète. La fécondité de la terre fait que la vie jaillit et se répand partout et sous toutes les formes. Le règne animal, moins encore peut-être que les autres sphères de la nature, ne saurait réaliser un système d'êtres organiques rationnel et indépendant (Ein in sich unabhängiges vernünftiges System von Organisation darstellen), il ne saurait maintenir des formes qui seraient déterminées par la notion, qui s'affranchiraient de toute imperfection et résisteraient à tout mélange, à tout changement et à toute altération. Cette impuissance de la notion dans la nature en général ne soumet pas seulement à des accidents extérieurs (accidents qui vont jusqu'à produire dans les organismes développés, et dans l'homme surtout, les monstres), la formation des individus, mais les espèces elles-mêmes. Car celles-ci subissent, comme les individus, l'action et les alternatives de la vie extérieure universelle de la nature, alternatives au milieu desquelles vit l'animal (Cf. Remarque § 392), et qui ne sont chez lui que les alternatives de la santé et de la maladie. Ces accidents extérieurs, au milieu desquels vit l'animal, ne constituent, pour ainsi dire, qu'un élément étranger à sa nature ; ils exercent sur lui une violence perpétuelle, ils l'entourent de menaces et de dangers, remplissent sa vie d'anxiété et la rendent incertaine et malheureuse.