Flaubert

 

 

 

Gustave Flaubert,

in Notes de voyage. I, Italie, Égypte, Palestine, Rhodes

(Oeuvres complètes de Gustave Flaubert)

Paris, L. Conard, 1910, p. 15.

 

 

Fraternisant avec eux d’une communion
toute panthéistique et tendre

Je ne sais jamais si c’est moi qui regarde le singe ou si c’est le singe qui me regarde. Les singes sont nos aïeux. J’ai rêvé, il y a environ trois semaines, que j’étais dans une grande forêt toute remplie de singes ; ma mère se promenait avec moi. Plus nous avancions, plus il en venait : il y en avait dans les branches, qui riaient et sautaient ; il en venait beaucoup dans notre chemin, et de plus en plus grands, de plus en plus nombreux. Ils me regardaient tous, j’ai fini par avoir peur. Ils nous entouraient comme dans un cercle ; un a voulu me caresser et m’a pris la main, je lui ai tiré un coup de fusil à l’épaule et je l’ai fait saigner ; il a poussé des hurlements affreux. Ma mère m’a dit alors : « Pourquoi le blesses-tu, ton ami ? qu’est-ce qu’il t’a fait ? ne vois-tu pas qu’il t’aime ? comme il te ressemble ! » Et le singe me regardait. Cela m’a déchiré l’âme et je me suis réveillé… me sentant de la même nature que les animaux et fraternisant avec eux d’une communion toute panthéistique et tendre.