Antonio Cocchi (attribué à),
Régime de Pythagore,
J.-B. Baillière et fils, 1880, p. 21-29.
ETUDIONS la structure et les fonctions de l'homme, et la nature des aliments qui composent sa nourriture, et cherchons, à l'aide des lumières de la science moderne, à décider si les aliments végétaux sont plus propres que les aliments animaux à se convertir en substance humaine et si le régime de Pythagore est utile pour conserver et rétablir la santé.
L'homme au point de vue anatomique a été créé frugivore.
Plutarque[1] disait déjà que le régime végétal était naturel à l'homme, c'est-à-dire proportionné à la conformation de son corps.
Quand on commença à distinguer les animaux en carnivores et en frugivores d'après la structure de leurs organes, quelques savants qui avaient remarqué que l'homme n'avait de commun avec les animaux carnivores que les quatre dents canines, tandis que les autres dents incisives et molaires étaient semblables à celles des animaux qui paissent, en avaient conclu que la viande n'est pas un aliment naturel à l'homme.
Wallis et Tyson démontrèrent qu’il y a une plus grande analogie dans la structure du conduit des aliments du corps humain avec celle animaux qui paissent, parce qu'ils sont la plupart pourvus, comme l'homme, de l'intestin côlon, dont sont privés les carnassiers.
Le canal intestinal de l'homme est court chez les carnivores : il est seulement triple de la longueur totale du corps, chez le lion : chez l'homme, il dépasse sept à huit fois, et, chez les herbivores, vingt huit fois la longueur totale du corps.
Non seulement nos dents, nos mâchoires et nos organes digestifs, mais nos mains et nos pieds même démontrent notre nature frugivore.
Cette opinion a été celle de Gassendi, de Daubenton et de tous les grands naturalistes du xviiie siècle.
« L'homme, dit Cuvier[2], parait fait pour se nourrir principalement de fruits, de racines et d'autres parties succulentes des végétaux. Les mains lui donnent la faculté de les cueillir ; ses mâchoires courtes et de force médiocre d'un côté, de l'autre ses canines égales aux autres dents, ne lui permettraient guère ni de paître de l'herbe, ni de dévorer de la chair, s'il ne préparait ses aliments par la cuisson. »
Flourens, Huxley[3] , Darwin, Hæckel partagent cet avis. C'est ce dernier qui a écrit[4] :
« Si l'on examine l'un après l'autre tous les organes du corps humain, on trouvera toujours que l'homme se rapproche plus des singes supérieurs ou anthropoïdes que ceux-ci ne se rapprochent des singes inférieurs. Les singes supérieurs sont frugivores ; donc l'homme doit l'être aussi, au moins par nature. »
En résumé, l'homme n'est ni mangeur d'herbes (herbivore), comme on appelle quelquefois les végétariens par dérision, ni carnivore; il n'a ni les dents des carnassiers, ni l'estomac des ruminants il est mangeur de fruits, il est frugivore.
Les physiologistes ne disent plus qu'il faut à l'organisme humain beaucoup de substances azotées ou albuminates, surtout sous forme de viandes, oeufs, etc., car ils ont démontré que le producteur de la force du corps, surtout de celle des muscles, n'est pas l'albumine, ni telle autre substance contenant de l'azote, comme la viande par exemple, mais bien de l'acide carbonique.
La nourriture la plus rationnelle, celle favorisant le plus le travail normal de nos muscles, comme aussi celui de notre système nerveux et de notre cerveau, est donc une nourriture renfermant peu d'azote et par contre plus d'hydrates de carbone et de graisse.
Les meilleures proportions sont celles de 1 partie d'azote sur 3 à 4 d'hydrates de carbone et de graisse, comme l'indique la nature elle-même dans les deux aliments par excellence : le lait et les céréales.
Aujourd'hui, on renverse l'ordre de ces facteurs, on fait une consommation d'aliments azotés ou protéiques énorme, au grand détriment de notre santé et de notre bourse.
Cet excédant d'albuminates ou substances protéiques (viande et œufs) que nous donnons à notre corps y figure comme matières inutiles et même dangereuses, car elles ont une grande tendance à la décomposition et se décomposent en effet, en rompant l'équilibre dans notre organisme et en y produisant le désordre, la maladie.
1° On mange trop.
2° On mange trop de viande.
3° L'homme peut vivre de ce qu'il veut.
Le professeur Voit, de Munich, un des défenseurs de l'alimentation animale, convient lui-même qu'il est parfaitement possible de vivre uniquement de végétaux, et nous ajoutons, avec le Dr Thompson, « qu’on s’en trouve bien mieux que du régime des viandes. »
Au reste, des nations entières, comme bon nombre d'individus, ont prouvé ce fait longtemps avant que les physiologistes l'aient reconnu.
Les Indous sont grands mangeurs de riz, dit le professeur Hermann ; l'albumine dont ils se nourrissent suffirait à peine au travail de leur cœur et de leurs poumons, et pourtant ils ne sont pas tous de saints contemplatifs, c'est-à-dire qu'ils sont capables de fournir un grand travail musculaire[6].
On a remarqué au contraire que, quoiqu'il soit à la rigueur possible de se nourrir entièrement de substances animales, puisque les Lapons ne vivent neuf mois de l'année que de la chair de renne et les Groenlandais de poissons[7], il était néanmoins difficile de soutenir longtemps un régime animal. Un homme qui aimait beaucoup les perdreaux paria d'en manger un matin et soir, pendant un mois ; mais il fut obligé d'y renoncer au bout de huit jours.
C'est surtout chez les enfants qu'on peut observer les effets salutaires de la nourriture sans viande et sans stimulants : ils n'ont jamais mangé de viande, et ils sont exceptionnellement frais et roses, bien portants, sans vice scrofuleux, sans désordres nerveux.
N'y a-t-il pas aussi des végétariens par nécessité, c'est-à-dire pour cause de maladie, et cette classe-là est la plus nombreuse. Ce sont des malades qui font les cures hydrothérapiques et végétariennes combinées, et qui vivent encore grâce à ce régime.
Nous concluons de ces arguments physiologiques que l'usage de la viande est pour le moins inutile, que très souvent il devient dangereux, et qu'il est plus rationnel de vivre du régime végétal ou lacto-végétal.
Beaucoup de végétariens puisent leurs motifs dans la Bible.
Dans l'Ancien Testament, on trouve que depuis le déluge il était permis de manger de la viande, mais plutôt comme concession et avec plusieurs exceptions concernant les animaux impurs.
Dans le Nouveau Testament et parmi les premiers chrétiens et les moines, la préférence est donnée incontestablement à la nourriture végétale ; le pain et le vin remplacent les sacrifices sanglants.
De nos jours encore, l'Église catholique attribue une espèce de sainteté à l'abstinence de viande, et ses ordres religieux les plus sévères, les Trappistes, les Chartreux, les Camaldules, sont de fait des végétariens. Les moines de ces ordres se distinguent par leur force et leur santé jusque dans un âge très avancé.
Lorsqu'on demanda à Napoléon ler de dissoudre l'ordre des Trappistes, ce législateur pratique alla lui-même visiter la Grande Chartreuse pour voir de ses propres yeux ce que c'était que les Trappistes et comment ils vivaient. Il y trouva les vieillards les plus âgés travaillant avec assiduité dans les champs et les jardins, afin de se procurer les fruits et les céréales pour leur repas frugaux. « Que voulez-vous, dit-il à ceux qui lui avaient conseillé la dissolution de l'ordre, ce sont des hommes qui mangent peu et qui travaillent beaucoup. » C'étaient là des gens comme l'Empereur les aimait ; leur exemple lui paraissait plutôt salutaire que dangereux.
D'autres sont végétariens par les dispositions bienveillantes et humanitaires du leur coeur et par amour pour les animaux. Ils trouvent qu'on n'a pas le droit et qu’il est cruel de tuer des animaux pour sa nourriture. Ils ne sauraient croire à une paix universelle avant que l'on en ait fini avec la boucherie. Ce motif est peut-être celui qui trouve le moins de contradictions, même parmi les mangeurs de viande. Ils l'acceptent en théorie. Le bon vivant le plus superficiel ne mangerait plus de viande s'il devait lui-même lier, tuer, égorger, écorcher et dépecer les boeufs, les brebis et les animaux qui lui servent de nourriture. Chacun fuit le voisinage de l'abattoir et ses spectacles douloureux et sanglants.
En Angleterre, les bouchers ne sont pas éligibles comme jurés quand il s'agit de prononcer dans un cas d'homicide.
Les empoisonneuses et les meurtrières se recrutent, pour une partie relativement très considérable, parmi les cuisinières, les seules femmes qui soient obligées, par leur vocation, de tuer des animaux. L'aversion morale contre cette tuerie se trouve exister encore chez les enfants; elle vit dans tout cœur non corrompu. Mais, comme l'a dit Voltaire, « du moment que nous donnons la parole à nos convoitises et à nos passions, nous jugeons injustement, nous agissons criminellement, et au bout du compte notre conscience ne nous reproche plus des actions auxquelles nous sommes habitués. »
Les membres des sociétés de tempérance et des sociétés pour la protection des animaux se sentent gênés par la logique des végétariens ; même il arrive que ces sociétés ne veulent plus admettre parmi leurs membres ces obstinés mangeurs de fruits et de plantes. Et, en effet, que répondre aux végétariens, s'ils leur disent : « Comment, vous aimez tant les animaux que vous les mangez? »
Il y a des végétariens esthétiques.
Ils ont choisi dans les oeuvres des poètes et des auteurs anciens et modernes des passages qui font la louange du régime pur et poétique des céréales et des fruits, depuis Cicéron, qui attribue à Cérès tout ce qu'il y a de grand et de bon au monde et parmi les hommes, jusqu'à Byron, Shelley, J.-J. Rousseau, Jean Paul, Schiller, Schopenhauer, etc.
Il y a aussi des végétariens économes.
Alexandre de Humboldt a dit qu'un morceau de terre dont le produit en blé pourvoit au besoin de dix hommes ne saurait en nourrir qu'un seul, si l'herbe qu'il porte est employée à engraisser le bétail. Au Mexique, le même terrain pourrait nourrir deux cent cinquante hommes par son produit en bananes. Donc, un mangeur de viande enlève les moyens de subsistance, en Europe, à neuf végétariens, et, au Mexique, à deux cent quarante-neuf. Quel gaspillage du côté des carnivores, quelle économie du côté des végétariens !
Liebig dit sur le même sujet : « L'homme qui mange de la viande a besoin, pour sa nourriture, d'un terrain immense, plus vaste que le domaine du lion et du tigre. Une nation de chasseurs habitant un terrain restreint ne saurait augmenter en nombre. »
Cette vérité fait aussi le sujet du discours d'un chef indien, que le Français Crèvecœur a communiqué à Meta Wellmer. « Ne voyez-vous pas, dit-il aux hommes de sa tribu, que les blancs vivent de grains et nous de viande ; qu'il faut à la viande trente lunes pour croître, et que souvent elle est rare, mais que chacun de ces grains merveilleux qu'ils sèment dans la terre se reproduit au centuple ? La viande a quatre jambes pour s'enfuir, et nous n'en avons que deux pour la poursuivre ; mais les grains restent et croissent là où les hommes blancs les sèment. L'hiver, pour nous le temps des chasses fatigantes et périlleuses, est pour eux le temps du repos. C'est à cause de cela qu'ils ont tant d'enfants et qu'ils vivent plus longtemps que nous. Donc je dis à chacun qui sait encore entendre : Avant que les platanes de nos vallées aient dépéri, la race des semeurs de grains aura exterminé celle des mangeurs de viande, à moins que les chasseurs ne se décident à semer. »
Chez nous aussi, ce n'est qu'en se recrutant parmi les semeurs de grains que la population carnivore des grandes villes peut s'augmenter. Hufeland remarque[9] que la plus grande longévité s'est trouvée toujours et partout parmi ceux qui ne mangeaient pas de viande ou qui n'en mangeaient que rarement.
Nos agriculteurs ne se doutent pas des pertes énormes que leur cause la manière traditionnelle de changer l'herbe, les grains, les pommes de terre, etc., en chair animale, dont, ils font leur nourriture. Une dixième partie de travail et de frais suffirait pour leur procurer une nourriture équivalente et bien plus saine. Le système mauvais et funeste que suit l'agriculture actuelle est causé par la nourriture animale. L'agriculture serait la première et la plus noble vocation si l'on remplaçait par des jardins potagers, des vergers et des champs de blé, les pâturages, les établissements d'engraissement, les boucheries et les distilleries.
L'expérience nous apprend que la viande des animaux engraissés est malade et doit causer des maladies (....).
[1] Plutarque, Traité sur l'usage de la viande.
[2] Cuvier, Règne animal, tome I, p. 86.
[3] Huxley, La place de l'homme dans la nature. Paris, 1868.
[4] Hæckel, Anthropogénie ou histoire de l'évolution humaine, trad. par Letourneau. Paris, 1876.
[5] Nous résumons ce que dit excellemment à ce sujet le docteur F. W. Dock : Du végétarisme ou de la manière de vivre selon les lois de la nature. Saint-Gall, 1878, p. 10.
[6] Voir Bibliothèque universelle et Revue suisse, 80e année, t. l.
[7] Voy. A.-E. Brehm, Les merveilles de la nature, l'homme et les animaux, tome I.
[8] Nous empruntons une partie de ces documents à un intéressant travail de Meta Wellmer, Les végétariens et le végétarianisme, traduit de l'allemand, Lausanne, 1877, p. 10.
[9] Hufeland, L'art, de prolonger la vie ou la macrobiotique. Nouvelle édition, Paris, 1871.