Aboû'l-'Alâ' al-Ma'arri

 

 

 

Aboû'l-'Alâ' al-Ma'arri,

Le poète aveugle : extraits des poèmes et des lettres Aboû'l-'Alâ' al-Ma'arri (363 A.. H..), introduction et traduction par Georges Salmon,

Paris, Charles Carrington, 1904, p.122-127.

(oeuvre numérisée par Marc Szwajcer sur www.remacle.org)

 

Mode de vie vegan et pardon du créateur

Viens alors à moi afin d'apprendre la vérité sur cette chose.

Ne mange pas injustement ce que l'eau produit, et ne mange pas la viande des animaux récemment tués.

 

Personne ne pourrait nier que les créatures qui vivent dans la mer sortent de l'eau contre leur gré. Si l'on consulte la raison, elle ne trouvera aucun inconvénient à ce qu'on refuse de manger du poisson, car les hommes religieux se sont de tous temps abstenus de choses qui, en elles-mêmes, sont légales.

 

Ne mangez pas non plus le blanc des mères qui en ont désiré la crème pour leurs enfants et non pour des jeunes filles de haute naissance.

 

Le blanc signifie le lait. Il est connu que lorsque le veau est tué, la vache dépérit pour lui et reste éveillée des nuits entières. Sa viande est mangée et le lait qu'il aurait sucé est prodigué aux propriétaires de sa mère. Quel préjudice alors peut-il y avoir à s'abstenir de tuer le veau et à refuser de se servir du lait? On ne doit pas accuser un tel homme d'illégalité; il fait preuve au contraire de ferveur religieuse et de clémence envers la victime et il espère qu'il pourra être récompensé, pour son abstinence, par le pardon du Créateur. Et s'il est dit que le Très-Haut distribue ses dons également entre ses serviteurs, quel péché ont donc commis ces victimes qui seraient ainsi exclues de sa grâce?

 

N'attaquez pas non plus les oiseaux quand ils sont occupés avec leurs œufs, car le brigandage est le pire des crimes.

 

Le Prophète a défendu de chasser la nuit. Je trouve que c'est une des deux interprétations du commandement : « Laissez les oiseaux dans leurs nids. » C'est dans le Coran aussi qu'est le verset : « O vous qui croyez, ne tuez pas de gibier pendant que vous êtes en pèlerinage ; si quelqu'un de vous tue à dessein quoi que ce soit, il doit payer en bétail la valeur de ce qu'il a tué. »

L'homme, si peu doué de bon sens soit-il, qui entend cette tradition, ne peut pas être blâmé s'il aspire à gagner la faveur du Maître du ciel et de la terre en traitant le gibier légal comme gibier illégal, quoique le premier ne soit pas défendu.

 

Laissez le miel pour lequel les abeilles affairées sortent de si bonne heure afin de le recueillir sur les fleurs brillantes.

 

Puisque les abeilles luttent si énergiquement pour protéger leur miel du collecteur, il n'y a pas de préjudice pour un homme qui s'en abstiendrait et désirerait placer l'abeille dans la même catégorie que les autres créatures qu'il n'aime pas voir tuer pour être mangées ni voir leurs moyens de vivre pris pour nourrir et engraisser des femmes et d'autres êtres humains. Les poètes ont décrit ceux dont je veux parler. Aboû Dhi'b parle ainsi du collecteur de miel :

 

Quand les abeilles le piquent, il se soucie peu de leurs aiguillons, mais il lutte pour parvenir à la ruche.

 

On raconte d’Alî qu'il possédait un sac de farine d'orge, ordinairement ficelé; seulement quand il jeûnait, il n'en avait aucun de fermé. Quoiqu'il eût une grande quantité de grains, il avait l'habitude de le distribuer en aumônes et se contentait du minimum. Un ascète disait aussi dans un sermon qu'il avait recueilli la valeur de 50.000 dinars de grain dans l'année, mais qu'il avait tout distribué. C'est ce qui nous montre que les Prophètes et les célèbres personnages se sont toujours limités, de manière à employer leur superflu pour les indigents.

Vous avez même objecté qu'un végétarien devait être blâmé. Si l'on devait appliquer ce principe, on ne devrait pas non plus faire d'autres prières que celles prescrites, car les prières supplémentaires causent un tourment inutile que Dieu ne peut approuver. De même, quand un homme opulent a dépensé le quarantième de sa fortune en aumônes, il ne doit pas donner plus. Il y a alors beaucoup de passages dans le Coran où la prodigalité est recommandée.