Freud

 

 

 

Sigmund Freud,

« Une difficulté de la psychanalyse »,

Oeuvres complètes : psychanalyse. 1916-1920, vol. 15,

traduit de l'allemand par Altounian, Bourguignon, Cotet, Delarbre, J. Doron, R. Doron, Dupont, Hartmann, Lainé, Laplanche, Petersdorff, Rauzy, Robert, Stute-Cadiot, Vincent, Zäh-Gratiaux,

Paris, Puf, 1996, p. 47.

 

 

Il se mit à creuser un fossé entre leur essence et la sienne

Au cours de son développement culturel, l'homme s'érigea en maître de ses compagnons dans la création, les animaux. Mais non content de cette prédominance, il se mit à creuser un fossé entre leur essence et la sienne. Il leur contesta la raison et s'attribua une âme immortelle, se réclama d'une haute ascendance divine qui permettrait de rompre le lien de communauté avec le règne animal. Il est remarquable que cette outrecuidance soit encore éloignée du petit enfant, tout comme de l'homme primitif et de l'homme originaire. Elle est le résultat d'un développement ultérieur plein de prétention. Au stade du totémisme, le primitif ne trouvait pas choquant de faire remonter sa lignée à un ancêtre animal. Le mythe qui contient le précipité de cet ancien mode de pensée fait prendre aux dieux une forme d'animal et l'art des premiers temps figure les dieux avec des têtes d'animaux. L'enfant ne ressent aucune différence entre son essence propre et celle de l'animal ; dans le conte il fait, sans s'étonner, penser et parler les animaux ; il déplace un affect d'angoisse qui concerne le père humain, sur le chien ou sur le cheval, sans avoir pour autant l'intention d'abaisser le père. C'est seulement devenu adulte qu'il se sera rendu étranger à l'animal au point de pouvoir injurier l'homme en lui donnant le nom d'un animal.

Nous savons tous que la recherche de Ch. Darwin, de ses collaborateurs et de ses prédécesseurs a mis fin, il y a à peine plus d'un demi-siècle, à cette outrecuidance de l'homme. L'homme n'est rien d'autre ni rien de meilleur que les animaux, il procède lui-même de la série animale, apparenté de plus près à certaines espèces, de plus loin à d'autres. Ses acquisitions ultérieures ne sont pas parvenues à effacer ces témognages d'équivalence, qui sont inscrits dans sa conformation coroporelle comme dans ses prédispositions animiques. Telle est donc la deuxième vexation du narcissisme humain, la vexation biologique. .